Paris-Brest-Paris 2019 (3) Loudéac - Rambouillet
Mercredi 21 août, 2 h30
Juste avant de partir, l'un des bénévoles sur le parking m'a fait une drôle de réflexion ... habituellement j'ai toujours trouvé l'accueil tellement gentil, les mots encourageants, là je ne sais pas si c'est moi mais ... donc un monsieur me demande si je vais vraiment à Paris. Je lui dis oui, pourquoi ? (il pense peut-être que je suis très en retard et que je vais à Brest) et il me répond : "parce qu'il y en a plein qui abandonnent et s'arrêtent ici."
En gros, il voit une femme en solo repartir à 2 h30 du matin, et il me suggère l'abandon, alors que tout va bien, que je ne suis absolument pas en retard sur les délais ....
Merci, tout va bien, je n'ai aucune intention d'abandonner, et je n'en aurai pas l'ombre d'une, jusqu'à la fin.
Je repars donc en direction de Quedillac ... tout va bien pendant deux petites heures. J'ai trouvé deux gars de Mayenne, qui attendent leur accueil à Villaine la Juhel avec impatience. Nous discutons tranquillou dans la nuit, jusqu'à ce que je sois obligée de les lâcher pour pause technique.
Le terrain est faiblement ondulé, et le vent faible. Malheureusement, je réalise tout à coup que mon cable de dérailleur arrière est cassé. Me voilà condamnée, au mieux, au 34x12, heureusement que je suis en terrain assez facile .
A Illifaut, tout le monde s'arrête pour une pause café, viennoiserie. Je n'ai pas envie de faire la queue, mais alors que je signale mon problème à un participant, il propose de me bloquer sur une vitesse plus souple en attachant le câble. Malheureusement, il n'y parvient pas, mais il recommence plusieurs fois ... et cela prend du temps, sachant que je devrai faire réparer quoiqu'il arrive. C'est super gentil de sa part, mais j'insiste un peu pour repartir ...
Je repars enfin , debout sur les pédales à chaque bosse. Mon ceintre se met à grincer horriblement chaque fois que je suis en danseuse, et de plus il y a un bout de câble qui frotte à l'avant, je n'arrive pas à le coincer.
Un bonheur en arrivant à Quédillac de voir qu'il y a un vélociste !!!! Je lui laisse le vélo et vais manger un bœuf bourguignon et des pâtes, drôle de nourriture à 6 h du mat mais rien d'incohérent avec un petit déjeuner à 2 h :-)
La réparation va malheureusement prendre beaucoup de temps, bout de câble coincé, réglage délicat, cable trop court ? ...j'attends en tremblotant un peu sur le stand, le jour se lève sur Quédillac. Je suis ravie de repartir avec quelques vitesse supplémentaires, même si le vélo fait toujours des bruits affreux.
Je rencontre un japonais très sympa avec qui monter la bosse de Bécherel , nous nous donnons des leçons de français et de japonais, parlons de voyage ... lui aussi, je vais le revoir plusieurs fois, et nous arriverons presque en même temps à Rambouillet. Sa tenue est atypique, il ne porte pas un cuissard mais une sorte de bermuda assez large resserré sous le genou ; le vélo a l'air équipé de sacoches maison.
L'arrivée à Tinténiac à 8h17 reste dans le domaine du raisonnable, malgré mes déboires mécaniques.
Mon compagnon japonais est affamé et fait une pause à Tinténiac, tandis que je continue vers Fougères. L'étape va être difficile, bien qu'elle soit courte : je ne tarde pas à comprendre que le vent, qui était d'ouest à l'aller, est maintenant Est ... je croyais les vents d'Est très rares moi .... Dans le nez à l'aller ET au retour, c'est trop fort ça !!!!
Du coup je vais mettre une éternité pour cette petite étape ... arrêt épicerie,café, pipi ... la désorganisation est en route. Ces mini-pauses qui se multiplient sont un très mauvais signe. De plus, ma vitesse roulée est en chute libre.
Je commence à sentir mes premières attaques de sommeil. Après trois nuits blanches ou tronquées, cela n'a rien d'étonnant. Pour l'instant, j'arrive à les contrer en mangeant ... mais après ...
Du coup, à Fougères, je décide de faire une petite sieste dans l'herbe.
Il se passe un truc amusant. Près de moi, il y a un groupe, avec un allemand qui parle, et un gars à côté qui traduit tout en français pour les autres. Dans un demi-sommeil, j'entends parler allemand et je me dis que c'est fantastique, je comprends super bien l'allemand (alors qu'en réalité je suis nulle :-) ) ... en fait je zappe le fait que j'entends aussi la traduction
Fin de sieste, on repart vers Villaine la Juhel . Je dois être un peu ensuquée par ma sieste, car je fais une erreur de route, heureusement rattrapée vite fait par une autochtone en voiture ... en fait je filais au Sud, le vent était un peu Nord Est je le trouvais bien tout à coup ...
Retour en arrière, je n'ai pas fait plus de 2 km de rab. Finalement ça va mieux, je lutte contre le vent pour retrouver des roues, cette fois ça fonctionne. Peu de temps après, je retrouve Luca, l'italien rencontré sur le parking . Nous ferons tous deux une pause boulangerie pour manger un peu plus loin.
Pour la première fois, il fait chaud, pas caniculaire, mais chaud comme un bel après-midi d'été.
Les adeptes de la siestes se multiplient partout. La chaleur leur permet de s'étaler , c'est bien plus cool que la nuit ! Il faut reconnaître qu'il fait une temps merveilleux !
L'étape est longue, longue, avec des petites perles au milieu, comme ce riz au lait délicieux offert par des habitants ... comme cette montée toute à l'ombre dans un secteur très vallonné...
Je rencontre à nouveau un problème : ma sacoche de selle est trop pleine, les sangles se détendent, et la sacoche touche la roue arrière .... j'aurais du manger plus de soupe quand j'étais petite, j'aurais eu un vélo plus grand ... en attendant la sacoche est carrément "percée", je fais une réparation de fortune avec un bout de chambre à air en guise d'élastique pour la remonter ... je mets les vêtements en surplus dans un petit sac à dos , ce que j'avais voulu éviter jusque là.
Enfin Villaine la Juhel et son accueil unique ! J'ai le plaisir de faire connaissance "en réel" avec Gervais Choloux, malheureusement je n'étais pas très "conviviale" à ce moment, pressée de pointer, de repartir ... finalement d'ailleurs j'ai pris une douche, c'est ce que j'ai trouvé qui me faisait le plus envie. L'endroit était superbe, hyper calme, c'était bien.
La soirée jusqu'à Mamers va être plutôt pas mal. Je trouve un compagnon de route français, qui fréquente le forum de la longue distance. La conversation me permet de rester en éveil, et nous pédalons agréablement de concert, sur une série de toboggans plutôt ludiques ; le vent s'est calmé.
Je le perds dans le noir peu avant Mamers ... je décide de m'y arrêter pour manger, et dormir un peu. L'accueil dans ce village est super. On peut y manger gratuitement une bonne soupe, des gateaux, des boissons chaudes .... dans la foulée, je "m'offre" une pause dodo de 20 mn dans un dortoir improvisé dans la mairie, chaud et désert .
23h30, aïe, comme le temps passe vite ... je dois allez pointer au plus vite à Mortagne. Je repars dans le noir avec une foule de gens, de nouveau je suis en compagnie d'un jeune allemand, ça se passe bien avec une pause café au milieu, offert par des gens qui tiennent un hôtel .
Je suis à Mortagne vers 1 h du matin, mais au moment de déposer mon vélo, je réalise que mon GPS est tombé quelque part ... et crotte de bique ... de plus, plus de 1000 km d'enregistrement perdu ... à moins qu'on me l'aie piqué en quelques secondes lors de la pause café ? le vélo était à 3 m de moi ... je crois plutôt qu'il était "tourné" et qu'il est tombé sur un cahot de la route. En mode éco, je ne le voyais pas. Je me souviens que quelque chose est tombé par terre, mais vu le monde à ce moment, j'ai cru que cela venait d'un autre vélo.
Du coup ... un peu de temps perdu à Mortagne pour passer au bureau des objets trouvés, sans succès ... boire un café de nouveau, essayer de dormir au milieu de la cafet et ne pas y parvenir, je crois que là commence le grand n'importe quoi.
Je repars vers Longny, peu avant d'y parvenir je sens le sommeil me gagner . Je m'allonge quelques minutes dans un sas de banque où je somnole, il y a deux personnes, un qui dort, l'autre qui regarde dans le vide avec les yeux ouverts ...c'est super bizarre comme situation ! Mais il fait bon dans le sas, je me mets dans mon sac de couchage "de survie" et je suis bien.
Tu vas y aller à Dreux, oui ou non ? lève toi et pédale ! va pointer à Dreux !
Dure, dure cette quatrième nuit tronquée.
Ca repart à peu près jusqu'à Senonche. Là aussi, on trouve en route du café, quelque chose à grignoter, ça fait pansement sur la jambe de bois ... de moins en moins longtemps ...
Puis on tourne vers Dreux. Je trouve un groupe, je m'accroche le plus longtemps possible, histoire d'avancer un peu . Aucune difficulté mais c'est horriblement long et monotone. Et, de plus en plus, glacé. Ou alors c'est moi .... je dors, dors , et je gèle ... j'ai l'impression qu'il fait -5°C (Il semble qu'il aie fait 3°C par endroits au petit matin ce jour-là ) !!!!
Quand la régulation thermique interne ne marche plus, c'est l'horreur ... pourtant la mienne marche super bien d'habitude !
A l'occasion d'une n-ième pause pipi, je vois que je tiens à peine debout, je n'ai plus d'équilibre. Curieusement, je roule encore assez droit. Il FAUT que j'en finisse avec ces 20 km ... je cherche quelqu'un pour parler un peu, mais ce n'est pas possible, chacun est dans sa bulle. Ils ne parlent pas. En fait je crois que tout le monde était gelé et endormi. A part un groupe très nombreux qui faisait des pauses multiples, puis doublait à fond, et ce à plusieurs reprises.
J'ai fini par chanter. Cela a marché et je suis arrivée à Dreux.
J'ai tout de suite voulu aller m'allonger un peu, mais j'aurais du me réchauffer d'abord, car là même avec la couverture de survie, j'ai eu très froid après 10 mn de dodo . Il n'y a que le thé qui est venu à bout des tremblements ... puis le redémarrage tranquille vers l'arrivée, sous un soleil magnifique.
Je flottais un peu, mais rien à voir avec les sensations terribles de la nuit.
La suite ... j'ai retrouvé Henri , et nous avons fini ensemble !
L'arrivée était un peu "cyclo cross" mais j'ai bien aimé. Nous avons joué le jeu. Il y avait beaucoup de spectateurs, c'était très touchant !
Je termine donc en 87 h09, ce qui n'est finalement pas très différent de mon temps de 2015.
En revanche, les trois heures de sommeil de la dernière nuit à Dreux m'ont manqué.
J'avais imaginé arriver vers 11 h à Mortagne, et y dormir au moins deux heures, mais ça n'a pas fonctionné comme ça, ma dernière journée a été très désorganisée.
Le froid dans le dortoir à Loudéac a rendu ma troisième nuit très peu récupératrice. Je rêvais d'un hôtel douillet, d'un camping car d'assistance avec une couette , bref, je me suis embourgeoisée
Les premières statistiques disent que le taux d'abandon a été très élevé (27%) malgré une météo magnifique. 1200 km, c'est un gros morceau, ce n'est jamais gagné, et pour les personnes peu rapides, le sommeil pose vite un gros problème.
Les pelouses autour de la Bergerie étaient très accueillantes pour une bonne sieste, comme en témoigne cette photo prise à l'insu de mon plein gré
Je ferai un petit point ultérieurement en guise de conclusion à cette épreuve toujours belle, toujours difficile et absolument unique !