Un rêve, trois massifs, 300 kilomètres
Vendredi 24 juin 2010, Tour Vercors-Trièves-Matheysine , vélo de route, 300 km, 2700 m D+
L'idée de faire 300 kilomètres, est née à la fin de mon 200 kilomètres de l'an dernier, en Normandie. Elle a hiberné l'hiver, a poussé avec le printemps ... il me fallait un beau circuit qui stimule ma motivation, il est né au fil des jours : Vercors-Trièves-Matheysine.
Restait encore à passer à l'acte. je savais que l'après-Ardéchoise était la période favorable, celle où l'envie de vélo domine, celle où l'entraînement commence à me faire penser que 100 km, c'est relativement tranquille. Je visais plutôt la semaine d'après - mais la meteo en a décidé autrement. Sur les graphes de meteociel, elle était là, LA journée de rêve, non caniculaire, bleue du matin au soir, avec un léger vent de Nord favorable à mon circuit.
Vendredi ! Une fois la date décidée, le stress m'envahit. C'est gros pour moi, très gros, et je suis terrifiée. C'est vrai, il y a des trains tout le long et rien ne m'empêche de monter dedans, les hébergements potentiels à Grenoble ne manquent pas , mais je ne m'y autorise pas ! C'est d'échouer que j'ai peur ! Je n'ose même pas en parler, par superstition, et je finis par avertir quelques personnes tout de même : j'ai besoin de soutien, et surtout maintenant je ne peux plus reculer .... la veille au soir tout est prêt : l'éclairage avec la batterie rechargée, les petits sachets de nourriture attachés sur la sacoche, les vêtements étalés dans la chambre. Autant dire que la nuit de jeudi à vendredi n'apportera pas beaucoup de repos : cent fois je fais le tour du vercors dans mon lit.
Prête à partir C'est quoi cette planète à deux lunes ???
3 h 30 . Je quitte la maison dans le silence d'une nuit tiède (16° au départ) . J'ai très peu roulé de nuit jusque là mais cet environnement va se révéler vite très agréable et rassurant : en effet, c'est presque la pleine lune, une lune orange superbe et la visibilité même lointaine est excellente. Il me faut cependant une vingtaine de kilomètres pour évacuer mon stress de la veille et trouver un rytme régulier. A Montélier, je rejoins la route de Crest et en avant pour 24 km le long de celle-ci -avec, comme prévu, un vent de Nord très léger qui me pousse -
Un peu plus loin je reçois un SMS de Cricri - Ca me touche énormément. Ca c'est du coaching ! Et d'ailleurs c'est magique car juste après, la route commence à descendre légèrement .; je me retourne et derrière moi, je vois poindre les toutes premières lueurs du jour.
Je connais bien cette descente. Dans mon cocon de nuit claire, à 40 km/h, j'ai une bouffée de joie sauvage. C'est juste fantastique d'être là.
J'entre dans Crest, il est 5h07. Mon Dieu, Cricri, à quelle heure t'es-tu levé ?
Crest .... Gérard, bonne fin de nuit !
6 h
Après 60 km, quelque part entre Saillans et Die, je m'accorde une petite pause. Bien que ma vitesse reste constante, je me sens un peu moins bien. En fait j'ai faim, c'est juste l'heure du second petit dèj , un demi-sandwich chèvre frais-viande des grisons (miam la prochaine fois j'en prends quatre) que je déguste en contemplant les premiers rayons de soleil sur les trois becs.
Trois becs au soleil ... et route de Crest déserte Pontaix
Je suis en avance sur mon planning - et cette avance m'encourage. Je m'accorde un café à Pont de Quart avant le début de la montée. Il y a un peu de monde dans le café, mais ils ont tous l'air zombie , et je me sens plus vivante que jamais
Pontaix et la Drôme
Environs de Die ... une lumière splendide
8h30
Menée
Je suis quelque part dans le col de Menée, il fait frais et même très frais à l'ombre, mais la montagne est inondée de soleil, c'est vraiment splendide Je suis toujours en pleine exaltation, d'autant que j'ai toujours un moment vers les 90 km où je me sens au top physiquement . Il faut dire que ce col est vraiment facile et très progressif, avec des pentes souvent autour de 5% .
A 8 km du col : la perfection meteo absolue
La seule difficulté sera un peu de vent de face dans certains lacets plus raides de la partie haute. Compteur, interdiction d'afficher une vitesse à un chiffre ! 9,9 ça ressemble à quoi ? tu crois que je vais te laisser faire ? Je ne suis pas étonnée du vent, c'est ... comme prévu. Je passe au pied de "mon" Mt Barral, belle sortie de ski de cet hiver.
Je franchis le tunnel, que je trouve bien noir (ma fille si tu enlevais tes lunettes de glacier il serait moins noir le tunnel )
L'altitude du col routier ne correspond pas à celle indiquée sur le panneau - elle n'est que de 1402 m, ce qui est déjà pas mal pour le Vercors - J'ai toujours 40 minutes d'avance sur mon planning, ma moyenne roulée au col est de 18,6 km/h et j'ai fait vraiment peu de pauses.
Je suis très - trop - habillée pour la descente vers Clelles
Isère, à nous deux !
Des volies nuageux sur l'Isère Le ravin de la tête Chevalière
10 h 30-13 h 30
Le Mont Aiguille
La traversée Trièves-Matheysine débute là, dans le petit village de Clelles. Grenoble n'est pas bien loin à ce moment et je pourrais couper, mais je n'ai aucune raison de le faire. A partir de ce moment, je vais faire une grande partie avec un cyclo isérois, qui lui aussi se dirige vers la Mure.
Trièves : vers le col Accarias
Cela va me permettre de garder un rythme, en discutant, d'éviter les pauses trop longues dans cette section qui comporte plusieurs bosses (et un col) dont une assez sèche pour rejoindre La Mure après le pont de Ponsonnas. Il me fera découvrir une petite route qui évite les derniers lacets de la grande Une partie superbe dans de petits hameaux, avec un court passage à 10% mais aussi une fontaine. Maintenant il fait très chaud (enfin normal, mais étant une renarde polaire j'ai chaud )
Au-dessus de Mens descente vers Ponsonnas
Ponsonnas : pas de candidats au saut à l'élastique aujourd'hui (d'ailleurs moi non plus )
A La Mure, je suis prise d'une subite et irrépressible envie de Yop . Toutes mes grosses courses en montagne ont été accompagnées d'envie de Yop, en dehors de ça je n'en consomme pas . Comme il est 13h, je dois aller jusqu'au supermarché -il y a plein de travaux sur la route et c'est très désagréable, en plus ça monte, mais il faut obéïr à l'envie de Yop .
Le parking "du Yop " pas forcément sexy mais le ciel était joli ... et les pentes derrières très skiables
Saleté de pylônes !!!
Encore deux petites bosses (la seconde je me rends compte que je commence à monter moins bien) et c'est la superbe descente sur Grenoble depuis La Motte d'Aveillans. La partie plate est avalée à une vitesse supérieure à 30 km/h (donc où ça descend, ou alors j'ai le vent dans le dos ) Il fait chaud chaud dans la cuvette Grenobloise -me voilà bien poisseuse ! Ma moyenne roulée est revenue au dessus de 20 km/h, chouette !
14h40
Km 200 pause Coca à Grenoble avec ma team ski de rando
Laure et Antoine m'attendent au café "Le Méditerranée", non loin duquel démarre la piste cyclable de la vallée du Drac et de L'Isère. Ce café est notre point de RDV pour le ski de rando chaque hiver. C'est super sympa de s'y retrouver pendant mon tour. Je fais une bonne pause tandis que je mets au point mon prochain rendez-vous avec Alice, qui part de Tullins dans ma direction.
Voilà, j'ai dépassé les 200 km. Ca ne m'étais jamais arrivé. Il ne se passe rien de spécial - à part que le plat et l'ombre, je suis pour, la chaleur est écrasante -
Le Drac avec énormément d'eau
Nous allons avoir beaucoup de mal à nous retrouver ! Heureusement qu'il y a le téléphone portable ...Je connais mal le réseau des pistes, nous allons réussir à nous croiser sans nous voir . Après une étude détaillée des points de repère, je me pose quelques minutes, et elle peut enfin me rejoindre
Me voilà avec une seconde coach, une triathlonnienne de choc , Cela va donner un beau rythme à cette partie, à 26-27 km /heure sur la piste cyclable, puis la petite route jusqu'à Cognin. En plus on cause tout le temps , comme elle vient de faire le triathlon de Cubize dimanche dernier , voilà que je nage dans le Lac des Sapins, il fait 8° et l'eau est glacée . La présence d'Alice est très encourageante car elle est très enthousiaste au sujet de mon projet du jour ... Elle me quitte à Cognin les Gorges. J'ai parcouru 240 km.
Séparation à Cognin sous un soleil ... qui cogne bien !
Olivier, je ne suis pas loin de chez toi et il ne fait pas nuit ... j'ai encore des heures de jour devant moi ... donc tout va bien
18 h
Appel de Cricri : il tombe à pic pour me soutenir le moral, car bien que j'avance toujours bien sur la nationale, je me sens comme en sursis. Les montées deviennent dures et la fringale pointe le bout de son nez très régulièrement. J'ai de la chance de n'avoir aucun mal à manger (au contraire) mais je consomme le sucre à toute vitesse.
Je fais encore un arrêt à St Romans pour acheter un friand au fromage (envie de salé) et boire un coca.
Bientôt St Nazaire en Royans .... il fait encore 31°C !!!... je pourrais garder la nationale, rentrer par Romans, mais ce n'est pas mon idée de départ. Je dois encore passer la bosse de Beauregard Barret, et là, ce soir, elle me fait peur. déjà qu'en temps normal je ne l'aime pas car elle est trop rectiligne ....
Le Col
J'ai raison d'avoir peur, parce que maintenant, c'est vraiment dur. Je me sens faible.Les histoires que je me raconte ( il est 18h30, tu n'as rien fait de la journée, et tu vas juste faire un petit tour après taf, 40 km avec cette petite bosse, c'est rien de rien ) ne marchent plus trop. Si seulement ce soleil arrêtait de me griller sur place.
Rochers de deux soeurs sous un soleil encore féroce après 19h
Arrête de nous en faire un fromage de cette bosse
Je passe tout à gauche et je roule à 8 km/h (personne n'a dit que c'était interdit de mettre tout à gauche , et en plus il n'y a personne) .
Un kilomètre sous ce fichu petit col qui n'a pas de nom, je dégaine ma dernière cartouche : un gel de l'ardéchoise (donné en cadeau au retrait des dossards) . Ca fonctionne et je passe le col et les deux micro-bosses suivantes sans m'effondrer. A Barbières j'apprécie cette descente où je ne fais RIEN de RIEN , pas pédaler, pas freiner.
Le village de Marches . Vers 20h30 Champs colorés vers Besayes
Juste avant 21 h
Je suis maintenant trop près de chez moi - et le compteur trop loin de 300 - A Alixan je prends la décision d'ajouter les 6 km qui manquent, sur du plat .... je commence à être vraiment mal sur le vélo, le cuissard me brûle la peau, mes épaules sont crispées ...mais qu'est-ce que 6 km.
A 700 m de l'arrivée ...
La fraîcheur retrouvée va m'aider, mais je n'éprouve pas de joie intense lorsque je franchis les 300 km, la fatigue inhibe un peu mes émotions. C'est juste en arrivant chez moi, lorsque que je tombe sur Pierrot,mon voisin cycliste. que la jubilation s'empare de moi Je lui dis "Pierrot, je l'ai fait, regarde mon compteur " !!!!
"300 km ... tu les as fait .... aujourd'hui ????"
Epilogue
C'est d'abord un grand MERCI à tous ceux qui ont eu une part dans cette aventure. A tous ceux qui m'ont accompagnée, ou retrouvée quelque part sur ma route. A tous ceux qui m'ont envoyé des SMS, des coups de fil , des mails d'encouragement et de félicitation. A Cricri dont les récits et les réalisations depuis plus d'un an m'ont inspirée, et à Olivier dont le blog avec de fabuleuses sorties m'a incitée à passer à l'action dans la mesure de mes moyens au lieu de rêvasser (et hop un petit tour du Vercors ?)
Je donne mes relevés de compteur, ce n'est pas mon habitude mais permet de montrer que même pour quelqu'un qui roule tout doucement, c'est possible. A noter qu'avec un retour en train depuis Grenoble, on réalise également un 200 km de grande classe et pas trop difficile.
Temps total : 17h36 (de 3h30 à 21h06 )
Temps sur le vélo : 14h40
Pauses 2h54
Moyenne roulée 20,5 km/h
Moyenne pauses comprises : 17,09 km/h (Prévue : 16,5 km/h)
Itinéraire
http://www.openrunner.com/index.php?id=604064
(ceci est l'itinéraire prévu, il y a avec celui réalisé deux petites différences à La Mure et Champ sur Drac, et les 6 km à Alixan ajoutés n'y figurent pas )
Et la logistique : Emporté (quasi tout consommé) : un sandwich, deux grosses tranches de pain d'épice maison, petits gateaux énergétique, gerblé amande, 1 petit sachet de figues, gel de l'ardéchoise. Le mieux c'est le sandwich !
Autres : 1 café, deux cocas, 850 g de Yop, 1 friand au fromage, les petits fours apportés par Laure et des biscuits et fruits séchés offerts par mon compagnon de route du Trièves
Vêtements : (j'en avais trop) gilet réfléchissant,manchettes, micro coupe-vent , buff , lunettes de glacier force 4 très utiles et crème solaire protection 50
Eclairage : Avant sur batterie (au guidon) + frontale sur casque / arrière traditionnelle + clignotant sur le bras.