Le brevet inachevé
Samedi 18 mai 2019, vélo de route, Pilat Forez et haute-Loire , 379 km, 5272 m D+ en 21 h (total 23h56)
Pour ce samedi, j'étais inscrite au brevet 600 km de Grenoble , sur un beau parcours avec dénivelé important , dans la lignée des précédents, que j'avais déjà fait dans de bonnes conditions en 2014 avec Cricri , et pas mal de compagnie tout au long du parcours.
Malheureusement les modèles météo sont plus ou moins en désaccord, et la prévision peu fiable. Bon ce n'est pas un beau week-end , c'est certain.
Mais comment sera la journée du samedi ? pleuvra-t-il la nuit ? et la matinée du dimanche ? Certains parlent d'averses, pour d'autres, c'est la pluie continue ... un casse-tête !... je passe l'après-midi de vendredi à me demander si j'y vais ou non ... du coup, à 16 heures je décide de tenter le coup, je me prépare à la va-vite au point d'oublier ... mes chaussettes, ce qui me vaudra un arrêt à Décat st Egrève sur la route
Sur les brevets précédents, la solitude cette année (surtout le fait de ne pas faire partie d'un petit groupe constitué) avait constitué un élément de difficulté complémentaire. Cette fois-ci , avec moins d'inscrits, j'ai encore moins de chance de trouver des compagnons de route.
En dehors de la nuit trop courte et agitée, toute la première partie de la journée se déroule agréablement (si l'on excepte un passager d'une voiture, à Vinay peu avant 6 h , qui me fait un doigt d'honneur en me hurlant "enculé " ... intelligent le gars ... )
Il bruine un peu au départ mais dès le lever du jour, tous les espoirs sont permis, avec un semblant de ciel bleu au-dessus des brumes de la vallée de l'Isère.
Je fais un bon départ sur la piste cyclable avec un groupe relativement rapide ; l'état de la piste s'est bien amélioré et il n'y a plus de branches.
Et si je suis très loin de mes meilleurs temps pour grimper à la Feta de Chambaran, cela n'a rien d'étonnant, avec un vélo chargé et encore 550 km à faire, rien que de très normal . De plus, sur les hauteurs de Roybon, je trouve deux compagnons de route dont le rythme est proche du mien : Nous allons rouler ensemble une grande partie du trajet jusqu'à Annonay.
Galaure en descente puis et Cance en "montée", un trajet particulièrement roulant , un vrai bonheur en petit groupe, avec les premiers et seuls rayons de vrai soleil que nous verrons de la journée. Il faut en profiter !
A Annonay, nous "pointons" et en profitons pour faire une pause café (merci pour le café à l'un de mes compagnons de la Cance ) et remplir nos bidons (les si pratiques toilettes d'Hauterives sont en travaux !!!).
Comme mes compagnons prolongent un peu leur pause, je pars devant pensant les retrouver plus loin. Autant rouler pendant qu'il fait beau . Mais c'était une erreur, car je ne les reverrai plus, et c'est le début d'une solitude bien pesante sur un si long parcours.
En passant à St Marcel les Annonay, je constate que la voie verte a été prolongée en direction de Bourg Argental ... mais seulement sur quelques centaines de mètres ! C'est en l'essayant que je vois qu'elle se transforme plus loin en un sentier VTT ...
Me voici à l'attaque du col de la République (que je n'atteindrai pas aujourd'hui, puis qu'on tourne avant) ... le ciel s'assombrit et les rayons de soleil du matin sont oubliés ... de temps à autre, le ciel lâche quelques petites gouttes. Personne dans le secteur, je continue ma route sans faire la même erreur que sur mon départ en Normandie en 2016 et enquille la rapide descente vers Firminy (où l'on a un peu l'impression d'avoir pris l'autoroute par erreur)
A Firminy, je prends le temps de manger un croque-monsieur. A ce moment, je pense encore que je ferai une vraie pause dîner le soir.
Je repars en direction de St Bonnet le Chateau, et je suis doublée par Jean-Philippe et Christophe, que je verrai pendant toute la montée, sans pouvoir les rejoindre. Nous nous retrouvons dans le sympathique village de St Bonnet, où Jean-Philippe m'offre un coca.
Il repart devant, avec l'intention de rejoindre le Puy en Velay pas trop "tard" pour y dormir .
Au col du Pichillon, je vois un cyclo qui fait la sieste, c'est le dernier que je verrai avant Langeac ... bien plus de 100 km plus loin !
J'avais gardé bon souvenir de cette partie très ondulante jusqu'à la Chaise Dieu en 2014 ... ce coup-ci je l'ai trouvée très fatigante. C'est d'abord un petit vent d'Ouest pernicieux qui me fait face ... puis une sensation que les jambes ne répondent pas ... ensuite de petits troubles visuels qui rendent les lignes blanches "baladeuses" , cela m'est déjà arrivé en cas d'hypoglycémie ou de manque de sommeil, mais là après 230 km ça ne me parait pas de bonne augure. Heureusement cela au moins disparait totalement après un moment.
Reste cette fatigue un peu insidieuse qui me fait subir les petites bosses . Je ne me souvenais plus, par exemple, que la descente sur Brioude était interrompu par une remontée de presque 2 km !
A cela s'ajoute des douleurs à la selle inhabituelles. J'ai gardé pour ce brevet ma selle "sport" et les points d'appuis sont un peu trop étroits. De plus, étant fatiguée, je me mets moins en danseuse.
Un autre facteur "négatif" est le fait d'avoir trop de points de repères sur ce brevet par rapport à 2014 ; je raisonne en terme de "retard" sur ce précédent parcours, et c'est une très mauvaise chose. Du coup je gère mal mes arrêts ... au point de renoncer à un vrai dîner, qui m'aurait fait beaucoup de bien, car le grignotage ne "marche" plus.
Brioude - Langeac reste une des parties que je préfère dans ce parcours. malgré une pluie fine qui s'invite de nouveau, je l'apprécie vraiment. Pourtant sur la fin, je trouve ça long, j'ai hâte d'être à Langeac, bien que j'appréhende la montée vers Saugues.
Au leu de dîner, je prends un thé au centre de Langeac . j'entrevois furtivement un BRMiste dans la ville ... puis deux autres avec qui j'ai un bref échange au sujet de la route à suivre . Ils m'empêchent de faire un grosse erreur ... mais notre route (la bonne) est marquée barrée et je suis un peu inquiète au sujet du passage en travaux.
Ils partent devant et je ne les vois pas revenir, donc je pense que ça passe ; après un échange avec les gendarmes en voiture qui n'ont pas du tout l'air inquiets au sujet des travaux, je parviens péniblement au début de cette zone. Plus personne n'est visible nulle part.
C'est une nuit silencieuse, humide, sans vent, que je contemple un instant ... au début, la zone en travaux est juste gravillonnée. On peut y rouler sans trop de problème. Tout à coup, je manque de tomber : je suis à la hauteur d'une zone en gros concassé épais , sur toute la largeur de la route.
Impossible de rouler. Du coup je marche. Et ça dure ...
Quand je crois en sortir enfin et pouvoir rouler ... je tombe tout à coup nez à nez avec d'énormes machines de chantier et là ce n'est plus du gravier ... mais de la boue, des blocs de pierre d'un demi mètre-cube, il n'y a plus de route du tout !!!!
J'ai un instant de panique ... si je dois redescendre sur Langeac, je ferai quoi à minuit là-bas ?
Je finis par passer ma lampe en mode maximum, ce qui me permet de mieux comprendre la scène. Au delà du chaos, il y a bien la route. Il faut juste porter un peu le vélo.
Il est minuit lorsque je parviens à Saugues, il fait trois degrés (à près de 1000 m d'altitude) , et il pleut de manière un peu plus soutenue ... je crains la descente qui va suivre , car
froid + humidité + descente = hypothermie !!!!
Je "tombe" sur un bar encore ouvert , où je prends de nouveau un thé. L'ambiance , contrairement à celle de Langeac, est un peu particulière, les gens sont un peu éméchés, pas méchants, mais les remarques manquent un peu de finesse ...
Je n'ai pas vraiment le moral à ce moment. J'ai la sensation que ma montée a été très lente, et surtout, sans aucun plaisir, avec une sensation de faiblesse permanente. De plus la pluie s'accentue ... je commence à penser à l'abandon ... mais avant cela il me faut me rapprocher du Puy en Velay, pour pouvoir appeler Gillou qui habite dans ce coin ...
Donc, après une bosse qui domine Saugues, descente sur le Monistrol d'Allier . J'ai un bon Kway de montagne cette fois, et je mets même la capuche sous le casque. La pluie frappe fort, mais la descente n'est pas mauvaise même si détrempée, et, bonne surprise, je mets un certain temps à me refroidir . Côté sommeil, je baille une ou deux fois mais je suis toujours bien lucide et réveillée
Bon, j'arrive en tremblotant, mais je réussis à me réchauffer dès que ça remonte un peu. Le bilan n'est pas si mal.
En revanche, la montée suivante (qui totalise quand même 400 m de D+) est catastrophique.
Je dois rouler à 8 km/h dans des pentes à 5%, et en plus, je fais plusieurs arrêts sous des prétextes futiles ... par exemple à un endroit il y a un abri avec un banc, je m'y arrête juste parce qu'il est là !!!! ... les micro-pauses ... c'est un signe classique de "coulage de bielle".
C'est un peu inquiétant. Dans le froid, le noir, sous la pluie, que se passerait-il si je n'avançais PLUS DU TOUT ?
Cette montée n'en finit pas ! Je me mets en colère contre elle , jusqu'à ce que vaincue, elle s'incurve enfin vers le bas ... vers le Puy en Velay ... mais en rendant les armes elle prévient son amie la pluie, qui redouble de violence .
Cette fois, la descente est vraiment glaçante. Curieusement, je n'ai pas froid aux mains, ou à peine. Je freine aisément. Mais je claque des dents rageusement. Voilà que je traverse un patelin qui se nomme "Bains" . Ah non alors ... voilà des heures que j'ai droit à la douche et maintenant on me parle de Bains ????
Aaaaaaaaaaaah enfin les lumières du Puy .... trouver un arrêt de bus pour ne pas noyer le téléphone, et appeler Gillou !!!! Que je retrouverai à Brives Charensac une vingtaine de minutes plus tard.
L'idée de l'abandon est née à Saugues, s'est développée à cause de la fatigue excessive à la montée de St Privat et au dessus, et s'est imposée totalement lors de la descente glaciale comme une évidence, m'imprégnant à la manière des grosses gouttes de pluie incessantes de cette nuit glauque.
Je n'ai même pas eu à réfléchir à la question. C'était juste un gros soulagement. Je ne suis même pas déçue ...ou juste un peu par le fait que j'aurais aimé en avoir terminé ce WE avec le problème des qualifs Paris-Brest-Paris, et qu'il faut déjà penser au prochain 600.
Avec une journée de recul, et à la lecture des retours des uns et des autres, je n'ai pas de regret d'avoir abandonné, sachant que d'autres dates sont possibles. C'est vrai que je pouvais encore rouler (même si j'étais en mode ralenti), que je parvenais encore à me réchauffer en dehors des descentes, et je n'étais absolument pas hors délai, mais il n'y avait plus aucun plaisir à insister.
Au retour en voiture le matin, du Puy à Tournon, j'ai vu un certain nombre de participants qui avaient repris leur route après avoir dormi au Puy, qui se bagarraient , certains contre la pente, d'autres contre le froid de la descente, sous une pluie battante et parfois dans le brouillard. Il faisait 2 ou 3°C à l'altitude la plus élevée ... pas humain quand on est trempé de la tête aux pieds. Si à ce moment-là j'avais vu St Agrève avec un beau soleil ... j'aurais été mortifiée d'avoir mis la flèche. mais là !!!!!!!!
Reste à tirer un enseignement de ce brevet, et de ceux de cette année en général.
Je pense que refaire en solo, des brevets que j'ai déjà fait en groupe me "dessert" . J'ai tout le temps l'impression d'être en retard sur mon passage précédent (ce qui est vrai mais qui est loin d'être équivalent à un retard sur les délais impartis) , et du coup je gère mal cette sensation, allant jusqu'à supprimer des arrêts utiles, et à ne pas rester avec les groupes qui font des pauses. Ce qui peut être efficace sur 300 km, devient contre-productif sur 600.
Il vaut mieux que je fasse un parcours totalement nouveau, où je n'aie pas de repère.
D'autre part, j'ai besoin d'une vraie pause repas, je ne peux pas faire 30 heures et plus sur le vélo avec du grignotage. Diner obligatoire sur mon prochain 600 ! et si je trouve un groupe sympa je ne le lâche pas !
Je me pose également la question d'envisager quelque heures de sommeil à l'hôtel ... je suis plus "mitigée" car je n'ai pas de gros souci avec ça, en dehors du coup de mou de l'aube, que j'arrive à régler avec le petit déjeuner. Avec le beau temps une petite sieste pourrait aussi faire l'affaire ....
Enfin, il me faudra faire le prochain 600 (et PBP) avec ma selle "cyclotouriste" car les surfaces d'appui sur ma selle "sport" sont un peu trop étroits ce qui génère des douleurs après 10-12 h .