1989 : la Meije
21 juillet 1989 - Ascension de la Meije (aller-retour par l'arête du Promontoire et le Glacier Carré)
N'hésitez pas à alle consulter le très beau site du refuge du Promontoire ... mis à jour tous les jours en période d'ouverture, et qui témoigne de la vie en famille au refuge .
Les photos ci-dessous sont extraites de mes albums d'époque ... pas toujours la qualité mais de l'authentique
En ce mois de juillet 1989, nous avions décidé, pour mettre toutes les chances de notre côté (acclimatation, meteo) , de consacrer une semaine de vacances à la Meije.
Si le Mont Blanc, si l'on met de côté son altitude élevée et problématique, ne demande qu'une bonne endurance à la marche, ce n'est pas le cas de la Meije.
Le Grand Pic de la Meije est une montagne "difficile" par tous ses versants. Ce fut le dernier grand sommet des Alpes à être atteint, le 16 août 1877, par Emmanuel Boileau de Castelnau et son guide Pierre Gaspard, nommé par la suite "Gaspard de la Meije".
Le 'glacier carré" est bien visible sur cette photo, champ de neige suspendu au dessus de la paroi rocheuse
De nos jours, la voie dite "normale", au départ du refuge du Promontoire, est une course d'alpinisme fréquentée, mais d'envergure. Les passages d'escalade ne dépassent pas le 4 eme degré, mais la course est très longue, la descente complexe (soit par le même itinéraire, en grande partie en rappel, soit par la traversée de toutes les arêtes vers le refuge de l'aigle) ... mais la Meije est un mythe ... et qui plus est une ascension magnifique, sur un très beau rocher. On n'est peut-être pas tout à fait au niveau, mais comment résister !
Nous sommes trois pour tenter l'aventure : Laurent (qui a fait le Cervin et la voie normale des Drus, donc un peu plus expérimenté que nous ) , Jérôme et moi-même.
Après deux-trois jours à s'entraîner sur de longues randonnées techniques (Giobernay depuis la Bérarde, Col du Clot des Cavales) , le temps se met enfin au beau stable. Comme tous les candidats à la Meije, nous allons dormir au refuge du Promontoire, que l'on a atteint il me semble par le passage aménagé dans les rochers, car le glacier était en mauvais état.
Arrivés tôt au refuge, nous allons grimper un peu pour reconnaître le début de la montée du lendemain. De superbes passages sur un rocher doré, au soleil, avec un sac allégé, quel plaisir !On découvre le début des passages mythiques : Crapeau, couloir Duhamel, campement des Demoiselles ...
Pour la Meije, le lever est à trois heures, pour un départ à 4 heures . La nuit va être courte ? Non, pour moi elle va être très longue ... mélange de nuit en altitude et surtout d'excitation anticipée à l'idée d'affronter "le mythe" , je n'ai pas fermé l'oeil une seule seconde.
Lorsque la gardienne est venu nous annoncer "3 heures", j'ai littérallement bondi du lit ... j'étais sur l'étage supérieur des bas-flancs ... et j'ai raté la marche en bois qui dépasse du montant du lit pour en descendre, j'ai glissé et me suis pris la marche sur la cuisse. Le choc est violent , j'ai un début de malaise, mais je ne regarde pas les dégats (le lendemain j'ai vu que j'avais un hématome gros comme une assiette à dessert)
Petit dèj, préparation, c'est le départ . Les premiers 200-250 m D+ en escalade se font à corde tendue (on avance tous en même temps ) ... et dans le noir ... avec des frontales ? euh ... dans le noir . la frontale de Jérôme ne marche pas , la mienne s'est envolée sur le glacier carré au premier passage au-dessus du refuge ... alors on suit Laurent, on suit les autres cordées. Ca ne se passe pas si mal. C'est curieux de grimper dans l'obscurité cette section explorée la veille !
Le jour se lève, et bientôt nous voici au pied de la muraille Castelnau. A partir de ce point il faut tirer des longueurs. Je fais toute cette première partie en chaussons d'escalade, et je grimpe en tête. Les chaussures de montagne sont dans mon sac. Je suis très motivée. A un moment Jérôme me dit qu'il a la nausée, je lui dis juste "Ah non, pas aujourd'hui ! pas le jour de la Meije !" Notre progression n'est pas très rapide, Laurent est pessimiste sur la suite des évènements.
La Dalle des Autrichiens
Les passages mythiques s'enchaînent : la Dalle des Autrichiens, le Pas de l'âne ... et nous voici dans une sorte de chaos de gros bloc, qui mène au glacier carré.
C'est un "champ" de neige très pentu, que l'on traverse en crampons. Pas le genre de champ où on emmène les enfants faire de la luge : une glissade, et c'est le grand saut de 800 m (rien que ça) dans la paroi Sud en dessous. On peut également en longer les bords, et utiliser des pitons plantés dans la paroi.
Après le glacier carré, on reste en chaussures de montagne et l'escalade reprend sur du rocher facile. On grimpe tous ensemble en grosses chaussures, c'est raide quand même, et pas très facile à protéger, je suis moins à l'aise qu'en bas!
Je laisse Laurent prendre la tête de cordée pour l'exceptionnel final. Tout d'abord la dalle du Cheval Rouge (qui aurait été plus facile avec les chaussons) puis le moment sublime où l'on passe en versant Nord, en franchissant une sorte de petit bombé (le Chapeau du Capucin) ; on se trouve alors avec un énorme vide sous les pieds ... tout en bas, la Grave, la route du Lautaret.
Le sommet approche. Je vois un guide qui me dit "Dépêchez vous, vous êtes la première femme au sommet aujourd'hui !" et je pleure derrière mes lunettes de glacier. Les derniers mètres sont faciles et nous voilà au sommet : il est presque midi.
Laurent pense qu'il est trop tard pour continuer sur la traversée des arêtes. Nous allons donc reprendre notre chemin de montée. Mais autant escalader des passages de II / III dans le sens montée se fait assez bien et vite, autant les désescalader est délicat et dangereux, et nous devons tirer des rappels. Ca prend un temps fou .
Pause trop longue au bord du Glacier carré
La fatigue se fait également sentir : à la moindre pause, c'est 20 minutes qui partent en fumée , c'est incompréhensible !
On descend ... on descend ... mais lentement, lentement. Il fait bon. il y a des nuages, mais aucune menace d'orage. je me rappelle avoir ressenti une sorte de bien être, presque une invitation à ne pas se presser ... en plus je demande la corde pour des passages où la veille, je courais presque lors de "l'exploration" !!!! Et pendant ce temps les heures défilaient ...
Rappel dans le couloir Duhamel ... la veille, nous n'avions pratiquement pas besoin de la corde ... après 16h d'affort on prend plus de précautions ...
Il n'est pas loin de 22 h lorsque nous installons le dernier rappel qui doit nous mener sur la terrasse du refuge. Il fait nuit et on nous éclaire avec les frontales. Je m'énerve après les noeuds dans la corde en pleurnichant qu'on va passer la nuit là
Mais même les noeuds finissent par se fatiguer et 18h après notre départ , nous voilà au refuge, un peu honteux d'avoir mis tant de temps. La gardienne n'est pas étonnée : l'avant-veille, d'autres ont mis 27 heures, ils ont dormi du côté du couloir Duhamel !!
Une aventure exceptionnelle se termine ... la simple redescente du refuge à la Bérarde le lendemain nous a paru fatigante, et ce jour-là est née "l'envie de Yop" qui m'a menée tout droit au supermarché de Bourg d'oisans ... cette envie de Yop impérative que je retrouverai à mon premier 300 km , des années plus tard !
Et devinez quel est le second prénom de Fille (née 5 ans plus tard) ?